1
Je suis monté à Paris je ne sais plus trop comment. J’avais trouvé la porte du TGV ouverte alors je suis monté, ou presque.
L’odeur du sud qui suintait par les pores de cette gare crasseuse tentait au dernier moment de me retenir mais j’avais pris ma décision. De toute façon, j’avais pas trop le choix. C’était ça ou moisir au domicile parental.
A 25 ans, y’a de quoi avoir envie de partir.
Je regardais le quai s’éloigner par la vitre du premier étage et je ne pensais à rien. La vision semblait jaunie par un soleil d’été d’une intensité inutile. On aurait dit une image fanée.
Je laissais le paysage défiler de plus en plus vite sous mes yeux sans pouvoir le retenir. J’étais parti pour de bon et je m’en voulais presque d’avoir décidé ça aussi vite. C’était fini, plus rien à faire, aucun moyen de revenir en arrière. J’allais pouvoir vivre autre chose, si tant est que j’en eusse envie.
J’ai posé lentement ma tête contre le rebord de la fenêtre et j’ai fermé les yeux. Je n’ai même pas fait gaffe à qui était assis à côté de moi. J’en avais rien à faire, j’étais un peu tendu. Le stress du changement sans doute.
J’ai essayé de m’assoupir. 3 heures et demie de route, fallait devoir raccourcir le temps.
J’ai dormi tout le trajet, à mon grand étonnement, sans même me réveiller de temps en temps. Dès que le train s’est immobilisé j’ai laissé tout le monde sortir, je suis resté là, seul, immobile, le front entre les mains, noyé dans l'instant, sans pouvoir rien faire.
Une femme de ménage est entrée, ça m’a fait sursauter. Je me suis levé, j’ai pris mon sac et j’ai gagné la sortie.
La gare de Lyon était semblable à la mienne, en mieux. Des gens y couraient dans tous les sens et semblaient être furieusement en retard. J’ai esquivé tant que j’ai pu pour trouver un Escalator et je me suis dirigé vers le métro. La ligne était jaune, la 1 qu’on dit, la rame est arrivée avec aisance dans un gros bruit métallique. Je m’y suis engouffré en retenant inconsciemment mon souffle, pressé par d’autres voyageurs. Je devais avoir cet air qu’ont tous les nouveaux arrivants puisqu’ils m’ont capté tout de suite. J’hésitais à prendre place alors je me suis retrouvé debout. Ma tête dépassait de tout le monde, elle s’affichait à la vue générale. J’aimais pas trop ça, j’avais l’impression que si on avait eu des regards, on les aurait braqués sur moi en premier. J’ai baissé la tête pour cacher mon visage et j’ai serré la barre de fer aussi fort que possible.
Je devais aller à Auteuil. J’y suis arrivé comme prévu. Je connaissais pas le coin mais j’ai tout de suite compris que cet endroit ne serait pas pour moi.
C’était un immeuble haussmannien trop vieux dans un quartier trop cossu, coincé entre la Seine et un bois à putes où n’en trouve pas tant que ça parait il. L’appart n’était pas très spacieux, meublé de bric et de broc, et la concierge normalement exécrable, mais vu où c’était y’avait pas de quoi se plaindre.
Hank, mon nouveau coloc, était déjà là. C’est grâce à lui que j’avais pas eu à galérer pour me loger. Je l’avais connu à la fac et je traînais avec parce qu’il avait toujours des bons plans. Il avait dégotté cette piaule pour pas cher dans un quartier tout à fait inabordable. Plutôt pas mal comme démerdage. Je lui ai tapé la bise sur le palier et j’ai refermé soigneusement la porte derrière moi. Il m’a indiqué ma chambre, j’ai balancé mon sac à l’intérieur, puis je suis parti aux chiottes me taper une queue.
2
Je me suis réveillé à 11h, la bouche pâteuse, l’écume au bout des lèvres. J’avais bavé un peu sur mon oreiller. J’ai ouvert les volets, j’ai découvert une lumière déprimante et j’ai eu envie de me rendormir. Je me suis levé péniblement et j’ai crié un bon coup pour me sortir de ma torpeur.
Hank était déjà parti, il avait un entretien d’embauche je crois, enfin c’est ce qu’il m’avait dit. Tout ce dont j’étais sûr, c’est que j’en avais pas.
J’ai filé sous la douche et j’y suis resté une bonne heure sans prendre de bain. La baignoire était un peu crade mais je m’en foutais.
Je suis sorti de l’appart et j’ai cherché un coin où manger correctement. Je suis tombé sur un restau où on pouvait se poser au bar alors je me suis dit que c’était pas mal.
La serveuse envoyait du lourd. De longs cheveux blonds avec les yeux bleus qui vont avec, un corps des plus fins tout en ayant des seins prêts à exploser du débardeur, un jean bien moulant, j’arrivais pas à regarder ailleurs qu’en sa direction. Elle m’a servi mon plat avec un certain dédain alors ça m’a fait chier.
Je suis sorti sans prendre de café et j’ai pris une rue au hasard.
Je me suis retrouvé sur les quais de Seine sans m’en rendre compte. Les bateaux mouches fendaient les flots avec leur cohorte de touristes japonais bruyants et naïfs qui prenaient des photos de n’importe quoi. J’ai trouvé ça assez navrant et un peu touchant. J’ai continué mon chemin et je me suis retrouvé en face de la Maison de la Radio qui était encerclée de camions studio blancs. De dehors, on pouvait voir des gars qui bossaient dans leur bureau ou qui s’agitaient en discutant sûrement de quelque chose de très important avec leur collègue. J’ai commencé à avoir envie de pisser alors je suis rentré.
Deux jours plus tard, j’ai finalement eu un entretien moi aussi. Mais je l’avais pas préparé. Je me suis pointé à l’heure rue Boissy d’Anglas et je transpirais déjà comme un porc dans mon costard. J’ai sonné deux fois, on m’a répondu au bout de la troisième, puis j’ai pris place dans ce hall qui devait faire office de salle d’attente. La secrétaire faisait mine de pianoter quelque chose sur son Mac et je me demandais bien ce que ça pouvait être.
Au bout d’un quart d’heure un gars maigre et laid, aussi souriant qu’un croque mort, est venu me chercher. Son costume était gris et un peu trop grand mais surtout mal taillé. On aurait dit qu’on lui en avait prêté un à l’arrache. Je l’ai suivi jusqu’à son bureau sans dire un mot puis il m’a présenté une chaise qui ressemblait à rien.
« Alors comme ça vous voulez être assistant relations presse…
- Oui, que j’ai fais.
- Vous êtes en sûr ?
- Je crois oui.
- Et qu’est ce qui vous intéresse là dedans ?
- Tout. »
Je sais pas ce qui lui a pris, la semaine d’après j’étais à l’essai.
3
Pour mon premier jour je me suis pointé à l’avance, histoire de prendre le temps de m’installer. La secrétaire paraissait surprise de me voir, apparemment on l’avait pas prévenu qu'on m'avait embauché. Le boss était pas encore arrivé alors j’ai poiroté.
Un vieux magazine traînait dans un coin, je me suis mis à le feuilleter mais quand j’ai vu qu’il était encore plus périmé que ceux qu’on trouve chez le médecin j’ai laissé tombé. J’ai pensé que c’était bien regrettable comme situation et que si j’avais su j’aurais dormi un peu plus.
Le parquet craquait sous mes pas, comme tous ces vieux parquets qui servent à rien qu’à nous rappeler notre existence, alors je me suis mis à faire du bruit en appuyant plus ou moins fort dessus avec mes chaussures. La secrétaire faisait semblant de pas entendre. Elle allait commencer à s’irriter quand le chef s’est pointé.
Elle lui a fait un grand sourire comme si elle avait zappé ce qui venait de se passer. Le sourire bright, émail diamant, comme on voit à la télé, exactement pareil. Ça m’a scié, ça sonnait faux et pourtant ça plaît toujours ce genre de truc. Ça doit être très « corporate » je crois.
Elle lui a rendu son bonjour puis lui a dit « Votre nouvelle recrue est là » de façon très plate. Le gars s’est retourné puis a mis quelques instants à me resituer, ça se voyait dans ses yeux.
Il m’a pris par l’épaule comme pour être plus familier puis m’a présenté aux autres collaborateurs qui semblaient être aussi étonnés les uns que les autres de ma présence. On m’a mis dans un open space où il restait un bureau de libre et je me suis assis à ma place avec application. Le bureau imitation bois faisait moderne et large. J’avais de la chance, mon ordi avait un écran plat et le tapis de souris était unicolore.
Le boss s’est barré, j’ai respiré un bon coup, j’ai passé la main dans mes cheveux puis j’ai regardé autour de moi. Les trois autres personnes qui travaillaient là avaient déjà la tête rabaissée et faisaient mine de bosser avec un incroyable sérieux.
Mon job consistait à appeler des sociétés que je connaissais pas pour leur proposer des services que je ne connaissais beaucoup plus non plus. Je me prenais des vents à longueur de journée. Tout ce qu’on me répondait c’était « On est très petit on a pas besoin de relations presse » ou « On est chez quelqu’un d’autre ».
Le côté médias de la boite m’avait attiré mais on m’avait pas dit que j’allais faire du démarchage par téléphone à longueur de journée. Je m’étais fait entuber. C’était pas mon truc, c’était même un truc ce que je détestais. Je balançais du discours commercial à 2 balles mais il m’arrivait quand même de me perdre dans mes paroles. Les autres faisaient pas beaucoup mieux que moi mais eux au moins ils connaissaient leur texte.
Au bout d’une semaine j’en avais déjà assez, j’ai commencé à être plus vindicatif voir carrément insolent quand j'appelais. Je raccrochais directement au nez des gens si je supportais pas le ton qu’ils prenaient.
Mes collègues, ça les a un peu sidérés. Eux ils avaient accepté leur sort depuis longtemps sans broncher, il s’en prenaient souvent plein la gueule et s’excusaient presque quand ils se faisaient insulter. C’étaient des masos, on aurait dit qu’ils en redemandaient. Eh ben pas moi. Moi j’attendais que le moment où on allait enfin me virer.
J’ai dû attendre un bon mois mais j’y suis enfin arrivé. Je suis parti sans leur dire au revoir, et sans me retourner. Eux non plus d’ailleurs.
On m’a souvent dit que j’étais un connard qui s’ignore.
La seule valeur que j'ai, c'est une montre avec un prix odieux.
16 janvier 2010
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Je me repete mais... j'adore ! Sincérement.
RépondreSupprimerc'est sobre, efficace, vivant !
RépondreSupprimerencore ... ?
"On m'a souvent dit que j'étais un connard qui s'ignore."... j'adore
"je suis parti aux chiottes ma taper une queue" merci, je ne la connaissais pas celle là
sourire
Ok je heu. Enfin je suis vraiment naze pour ce genre de trucs et puis je vois que ça a déjà été fait ci-dessus alors en fait je t'encule et je mets un lien chez moi. T'as pas vraiment ton mot à dire.
RépondreSupprimermerci c'est sympa ces commentaires, parfois douloureux pour l'arrière train mais sympa quand même
RépondreSupprimer@ Castor : ok je mets un lien aussi, puis je t'enculer à mon tour ?
Finalement, de se faire embaucher même pour un job à la noix, cela booste terriblement la plume, cela donne de l'énergie littéraire !
RépondreSupprimerQuand on dit que le travail c'est la santé, faut le croire ! N'est-ce pas ?!
Et tu bosses quand, à nouveau, pour nous écrire encore ?
RépondreSupprimerComment ça, j'suis pas drôle ?
oh oui, rebelle.
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